mardi 12 novembre 2013

Opération Caméléon: oeufs de caille marinés maison

Chose promise, chose due: aujourd'hui, j'inaugure avec grand plaisir une série de billets découlant de ma première expérience de resto-bulle à Québec. Dans le cadre de ce restaurant aussi épicurien qu'éphémère, j'ai proposé aux participants un menu 7 services avec 5 accords alcoolisés réalisés par François Chartier. Jusqu'ici, rien d'anormal, bien au contraire. L'aspect qui a certainement le plus démarqué ma première bulle des autres événements gourmands qui ponctuent le calendrier, c'est sans aucun doute son thème plein d'audace: le monde souterrain.

À l'origine j'ai choisi cette thématique en hommage aux origines de mon propre concept, les restaurants clandestins (aussi connus sous le nom de restos underground ou pop-ups restaurants) qui sont apparus un peu partout dans le monde. J'étais loin de m'imaginer là où cette ligne directrice allait me conduire, cependant.

La première étape de conceptualisation de mon menu a été d'effectuer une vaste recherche en ligne par champs sémantiques. Afin de sortir des évidences, comme l'idée d'exploiter les légumes racine, ou encore les minéraux comestibles, j'ai élargi ma réflexion afin de considérer des phénomènes géologiques souterrains, le monde vivant en sous-sol ainsi que la symbolique de cet univers caché. De toutes les pistes qui ont émergé, comme l'albinisme, l'insectophagie, ou encore les rituels d'enterrement, seules quelques-unes ont trouvé le chemin jusqu'à mon menu et aux assiettes des participants. Le critère: un juste équilibre entre l'innovation culinaire et le plaisir de la table. Y paraît que les bibites, c'est bon, mais il faudra d'abord m'en convaincre!!

L'une des plus belles trouvailles issues de ce processus de recherche et de développement est sans contredit le nid d'hirondelle. Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec cette délicatesse asiatique, particulièrement prisée en cuisine chinoise authentique, sachez que certaines espèces de martinets orientaux, qui nichent dans des cavernes, construisent leur nid à partir de mucus comestible contre les parois rocheuses. La substance se solidifie par la suite au contact de l'air et permet aux oiseaux de dormir et de nicher à l'abri des prédateurs et des intempéries.

Les "cueilleurs de nids" doivent surmonter de grands périls pour aller collecter ces petites constructions une à une, à des hauteurs vertigineuses et souvent, avec des équipements plus que rudimentaires. Comme les nids d'hirondelle valent - au gramme - plus cher que l'argent, il y a cependant une main d'oeuvre prête à prendre bien des chances pour toucher la cagnotte. Si le sujet vous intéresse, je vous recommande un intéressant petit reportage trouvé sur le blog Beurk.com et aussi, une splendide série de photos prises à Bornéo et documentant la collecte de nids d'hirondelle.

J'ai contemplé l'idée d'importer un nid d'hirondelle afin de le cuisiner pour les participants de la première bulle, mais plusieurs considérations m'ont fait changer d'idée, à commencer par le fait que je craignais d'indisposer les participants. N'ayant jamais goûté à ce mets, j'étais aussi incertaine de parvenir à en faire quelque chose d'intéressant sur le plan gastronomique. Enfin - et tout aussi significativement - il semblerait que les pratiques de collecte de nids soient discutables et puissent mettre en danger la survie des espèces visées.

C'est alors que j'ai décidé que le moment de passer "au second degré" était venu. Plutôt que de chercher à utiliser un nid d'hirondelle de façon littérale, j'ai opté pour en créer un de toutes pièces, en m'inspirant de saveurs d'Asie. J'ai d'abord créé un nid en vermicelles de riz croustillantes en faisant frire les pâtes dans des infuseurs à thé, j'ai concocté une mayonnaise assaisonnée au soya, à l'huile de sésame et surtout, à la prune umeboshi - une saveur inexistante dans la gastronomie québécoise que j'ai eu la chance d'explorer à Vancouver au contact de collègues asiatiques. De plus, j'ai créé une technique pour micro-décorer des œufs cuits dur afin de leur donner l'apparence d’œufs en coquille, une vraie opération "Caméléon."

Je doute fort que vous vous lanciez dans ce genre de processus, mais toute cette histoire est quand même un excellent prétexte pour partager avec vous comment préparer des oeufs de caille marinés, mille fois meilleurs avec une recette maison qu'achetés en pots. Délicieux et rigolos à l'apéro, les oeufs de caille reviennent très bon marché si vous avez un bon fournisseur (ex: La Montagne Dorée propose des emballages de 30 oeufs à moins de 4$!)

Si vous avez déjà cuisiné avec des oeufs de caille, vous savez à quel point il peut être difficile de les craquer ou de les peler sans faire de gâchis. La magie de cette recette, c'est que la marinade vinaigrée dissout la coquille et vous évite bien des problèmes, comme quoi la facilité a parfois bien meilleur goût!

Cette photographie a été prise lors de la générale
de mon premier resto-bulle par la photographe
Annie Simard et en collaboration
avec la styliste Valérie Labbé
Oeufs de caille marinés maison
(Pour 4-5 personnes à l'apéro)

Ingrédients

- 30 oeufs de caille
- 2 tasse de vinaigre de vin blanc ou de vinaigre de riz
- 2 cuillers à table de sauce soya foncée (optionnel, mais notez que ce n'est pas la même chose que la sauce soya régulière!! La sauce soya donnera une teinte un peu café aux oeufs. Pour des oeufs blanc, omettre la sauce soya et ajouter 1/2 c. à thé de sel à la place!)
- Autres aromates au goût, par exemple, 2 c. à thé de pâte de prune umeboshi, 2-3 anis étoilées, 2 piments frais parés (optionnel)

Préparation

1- Tester la fraîcheur des oeufs en les immergeant dans une bonne quantité d'eau froide. Jeter tous les oeufs qui flottent ou dont la coquille semble fendue. En profiter pour les laver et les sécher délicatement.

2- Poser les oeufs en une seule couche dans un chaudron assez large puis recouvrir d'eau (environ 1 à 2 pouces d'eau au-dessus des oeufs.)

3- Amener l'eau à ébullition, puis retirer du feu immédiatement et poursuivre la cuisson dans l'eau chaude. 6 minutes suffisent pour un jaune moelleux, 8 minutes pour un jaune ferme et 10 minutes pour un œuf cuit dur. Dans tous les cas, la cuisson "douce", c'est-à-dire, avec la chaleur résiduelle de l'ébullition, garantit que le blanc d’œuf aura une texture agréable et non caoutchouteuse sous la dent, comme c'est le cas pour les œufs commerciaux. N'hésitez pas à peler un oeuf pour tester sa cuisson avant de décider la suite des choses pour les autres.

4- Transférer les œufs dans un contenant hermétique et les couvrir de vinaigre, de sauce soya et des autres aromates, au choix. Refermer le couvercle.

5- Déposer le contenant au réfrigérateur et attendre 24 heures. À ce stade, la coquille des œufs ne sera pas complètement dissolue, mais elle sera facile à peler comme la peau d'une clémentine. Vous pouvez aussi poursuivre la marinade 24 heures de plus. Il ne devrait alors plus rester de traces des coquilles. Plus vous faites mariner les œufs longtemps, plus le goût du vinaigre sera fort. La réaction entre le calcium des coquilles et le vinaigre produit du gaz qui va s'accumuler dans le contenant. Ce n'est pas dangereux, mais quand on ne sait pas, ça peut surprendre!

6- Sortir les œufs de la marinade, les peler au besoin, les laver puis les réserver au réfrigérateur jusqu'au moment du service. Sans processus de stérilisation et de mise en conserve, vos œufs devront être consommés de 2 à 3 jours après qu'ils aient été retirés de la marinade.

Si jamais l'envie vous prend de micro-décorer vos œufs, vous aurez besoin de sauce soya foncée, de poudre de charbon comestible, de flocons de goémon, d'un peu de flair artistique et de BEAUCOUP de patience! Pour les gourmands qui ne veulent pas attendre, à déguster sans réserve avec des olives, des craquelins, des chips, de la mayonnaise, des cornichons et de la bière!


Voici une photo de mon sous-chef, Jean-François Duval, qui s'entraîne à micro-décorer
les œufs de caille pour le jour du premier resto-bulle grâce à la technique que j'ai développée.
Patience, mon ami, patience!
Crédit photo: Catherine Martel

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